Entre apesanteur et gravité : le jeu créatif de la relation

« au-delà du principe d’archimède » Entre apesanteur et gravité : le jeu créatif de la relation

Mots clés : L’espace aquatique lieu de relation, de représentation, d’intégration. Hypothèses cliniques pour le travail de l’eau avec les enfants

Les deux premières années de  vie fondent l’essentiel de l’être humain à venir.

A travers la relation privilégiée et irremplaçable qui se joue entre la mère et son enfant sur le mode corporel, affectif et symbolique,

En reprenant les évènements qui structurent cette entrée singulière dans le monde,

En précisant le rôle des partenaires concernés par cette construction,

Nous tenterons de dégager quelques repères utiles si on envisage l’espace aquatique comme lieu de relation, de représentation et d’intégration des expériences pour l’enfant et/ou l’adulte qu’il est devenu.

 

Au jeu créatif de la relation

Les règles sont bien particulières où 1+1=3

Originale inauguration où un homme et une femme ouvrent au troisième, nouveau, tout neuf, jamais vu, à rencontrer. Où 1 est déjà divisé, où le petit à naitre est les liens à faire et les liens déjà faits.

S’instaure alors au plus intime, hors de toute conscience, le tout premier dialogue –fondamental, entre la vie et la mort. C’est le petit qui construit le tiers : le placenta qui protège sa mère et l’abrite en retour.

Autre dialogue, plus perceptible, celui des échanges hormonaux. Perceptible par la mère dans sa transformation objective et subjective, corporelle, émotionnelle, transformations internes dans la puissance immaitrisable du bain d’affects que représente la grossesse. Il s’agit de faire avec. Faire avec la présence de l’enfant, l’image dans le miroir, les images impalpables. Faire avec les modifications qu’elles apportent à l’entourage. L’image dans le regard de l’autre, le regard du père, et s’y retrouver !

Pour l’enfant, les questions, ses réponses dans ces échanges s’organiseront autour des deux pôles plaisir / déplaisir, équilibre / déséquilibre.

La plus grande part de ce dialogue est discrète : il se tient à bas bruit, au long cours.

 

Le dernier aspect de ces échanges fondateurs est celui qui se joue autour de la présence sensible de son enfant pour la mère, et de son absence – silence corporel- plus difficilement représentable. Dans le dialogue tonique advient le langage : la mise en mots et le silence arrive alors simultanément le temps, dans ses dimensions de passé et d’avenir, le langage poétique et créatif de l’histoire, de l’existence, de la filiation. L’enfant écoute ce que dit la peau utérine de sa mère, traduit ses états, s’ajuste finement.

Ces dialogues intimes, complexes, différents et complémentaires ouvrent à l’identification fore de la mère à son enfant, de l’enfant à sa mère.

 

Le jeu relationnel prend toutes ses dimensions

Jeu relationnel corporel étayé sur la sensorialité, la sensualité.

L’enfant porté, soigné par sa mère est, existe

Dans l’odeur de sa mère

Dans leur odeur commune unique,

Dans le gout du lait, dans ses différences ‘il est allaité,

Dans le regard de sa mère, dans le croisement de leurs regards,

Dans ses appuis : ceux de son dos, sa nuque, ses épaules, son basson,

Dans la voix de sa mère, connue, reconnue, dans ses propres sons, dans ceux de leur rencontre. Et le rythme de la respiration, celui de la tétée n’étant pas le moindre !

Dans le contact peau à peau, la chaleur unifiante qui s’en dégage.

 

Jeu relationnel imaginaire fondé sur la dyade, sur l’illusion nécessaire du 2=1, sur la double dépendance.

La mère n’existe que par son bébé. Il n’est de bébé sans sa mère. Cette relation est créative et créatrice dans sa spontanéité : chacun invente continûment sa propre partition.

 

Jeu relationnel symbolique : la dyade n’a d’existence que si le père la porte, lui-même appuyé sur la famille inscrite dans la société. Il est compagnon, son chef d’œuvre sera l’amour fou entre la mère et son enfant, leur accrochage. Il veille, il est là, il est le garant de la capacité maternelle à assurer la continuité d’être de son enfant. Rôle fondateur de l’ouverture à venir, après, bien après, seulement après que l’attachement ait eu lieu et qu’il se manifeste. Rôle délicat, difficile : il faut y être témoin sans chanceler de la folie de sa compagne avec un autre…

 

Jeu permanent dans la relation entre rencontre et séparation, au rythme et à l’intensité tolérables pour les deux concernés entre présence affectée, réelle et absence mesurée, pleine.

L’enjeu est d’importance : il est de devenir humain, être sujet. Pour le dire autrement, il s’agira d’être conjointement relié et séparé. Ce jeu s’instaure dans l’espace imperceptible et étroit du chevauchement des deux espaces, celui qu’ils créent dans leurs partages réguliers, retrouvés, attendus, espace de la mère et de ce petit - là.

Il est à la base des mémoires, des liens opposés/reliés entre plaisir et déplaisir corporel puis satisfaction et frustrations affectives. Il est le creuset des représentations, de l’humanité par la pensée.

 

Cet espace entre les deux est riche

Du corps de la mère, de son visage. Pendant longtemps, ils seront miroirs des émotions de l’enfant.

De la pensée affective de la mère mise au service de l’enfant et qui transforme les vécus bruts, crus, en émotions intégrables par l’enfant.

Des routines : le « même » présenté encore et encore, que l’enfant au rythme de son grandissement va faire évoluer, que la mère va accepter de laisser évoluer, le « même » et ses variations non déroutantes, non délogeantes, non confondantes.

De toutes les créations maternelles au quotidien, dans la durée, connues, retrouvées, découvertes.

Riche

Du corps de l’enfant, son corps en mutation qu’il doit retrouver, habiter autrement pour explorer le milieu aérien

Autrement dans la pesanteur autour de l’axe de son corps, rendu inefficace par la gravité, dans sa symétrie entre ouverture et rassemblement

Autrement à partir de l’horizontalité et autour de l’axe entre haut et bas de son corps, dans l’extension et la flexion jusqu’à la conquête de la verticalité terrienne.

Riche encore

Du corps de son père dans ses différences avec le corps de la mère, dans son tonus, son mode masculin, dans ses expressions, dans sa voix, dans sa parole sur lui et sur sa mère, sur leur lien

Du corps des autres : celui des adultes, mais aussi celui des pairs avec l’intérêt vif qu’il peut leur porter.

Riche enfin

Des objets présentés à l’enfant- sous leurs formes réelles, imaginaires, symboliques- qui marquent la présence et représentent d’emblée par là même l’absence

Des activités partagées auxquelles l’enfant sera convié, invité, dont l’eau…

 

Espace créatif de la relation

De l’Un et de l’Autre

Espace où l’un et l’autre se rencontrent, dont l’Un et l’Autre sortent différents de l’avant rencontre, transformés définitivement.

Espace de parentalité, espace de croissance, expérience qui mérite qu’on en prenne grand soin.

Espace unique qui permet l’accès à la « capacité d’être seul en présence de » l’autre - la mère- tout premier partenaire de cette construction humaine jamais finie, vivante.

Espace où s’élaborent les compétences à tolérer l’imprévu.

Entre apesanteur et gravité et en regard de la lecture de ces éléments du jeu relationnel humain, que dire alors du lieu de l’eau ?

Si on souhaite  y rencontrer l’enfant/ l’adulte sujets de leur expérience.

Si on souhaite y promouvoir l’eau comme objet présenté dans la relation.

Le petit d’homme est mammifère terrien et non mammifère aquatique.

La contrainte majeure de l’eau nous ramène au jeu entre vie et mort. La limite que l’eau nous impose est immédiate, toujours rappelée.

La surface est lieu structurant du jeu entre possible / impossible, réel / imaginaire 

Pour l’enfant comme pour l’adulte, il y a nécessité d’un autre anticipateur/ protecteur qui ne laissera pas advenir une expérience inintégrable et dévitalisante. Un autre, en position symbolique de garant de la vie, de la loi, de père symbolique.

L’eau pourrait être le lieu du jeu avec les images

Images corporelles dans les identifications tentées, éprouvées, essayées, confirmées, dépassées, renvoyées par l’eau miroir des états propres dans chaque expérience, image inconsciente/narcissisme secondaire

Images des autres, de ce qu’ils offrent à voir,

Mise en jeu entre ces images internes et externes, qui donnerait forme à une  connaissance corporelle étayée sur les présences répétées, les « re-présences », ce qu’elles permettent d’intégration et de représentation.

Ces expériences formeront, enrichiront, amplifieront l’imaginaire intime, l’imaginaire de ceux qui partagent l’expérience dans sa sensibilité et dans son émotion, imaginaire langagier, culturel, partagé, proche de la poésie, et arrimé au mouvement émotionnel dans ses causes et ses effets corporels.

La parole non technique, non descriptive de l’eau est poétique, proche de la sphère dans sa forme, bien loin du raisonnement cartésien linéaire.

Nous pourrions alors parler des quatre dimensions de l’eau !

Cette rencontre avec l’eau pourrait être ce lieu à condition d’y éviter l’enfermement dans des formes, dans des images arrêtées,  déjà finies !

Et à la condition évidente que les images qui adviendront restent la propriété de celui qui les présente !

Espace aquatique et jeu tonique

Pour le petit jusqu’à six mois minimum, ce qui correspond à la période d’harmonisation tonique première,

L’eau sera structurante  si elle confirme, renforce le portage maternel. Elle sera enveloppe protectrice des deux, contenante.

Attention : si l’eau sépare prématurément, ses effets seront désorganisants dans la perte des appuis, des accrochages, dans le défaut de contact / du regard/ du rythme respiratoire.

Elle sera alors vecteur d’angoisse, de morcellement. Cf les rêves de chute…

Si les sollicitations que l’eau apporte sont intégrables par ce bébé-là à ce moment-là, l’eau sera facteur de croissance.

Mais si l’eau vient traduire un forçage, un lâchage, un délogement, elle fera violence et intrusion. L’enfant perdra ses repères affectifs.

Le rôle de l’adulte est de filtrer les excitations externes et de donner sens aux excitations internes. Interpréter ce qui advient. Il est avec l’enfant, juste un peu devant. Il limite le partiel, il l’évite au maximum…

Il sait entre autres la sensibilité de la peau, sa fragilité, sa réceptivité dans les temps de nudité, de séparation avec l’enveloppe des vêtements, leur odeur, ou encore l’incapacité à se protéger du monde sonore, tellement particulier des piscines.

C’est sa parole et son toucher qui prépareront, inviteront, nommeront, accompagneront au plus juste l’expérience dans son inconnu, sa nouveauté pour l’enfant.

L’enfant s’y trouvera, retrouvera unifié.

Après ces quelques points qui concernent les qualités de l’eau et le tonus, il nous semble important de nous arrêter un instant sur le jeu tonique entre bébé et adulte, entre adulte et adulte.

Chacun ressent, parfois sans en avoir conscience, le tonus de l’autre. Ce tonus nous informe sur son état profond, sur sa manière de « composer avec ».

Il nous semble important de pointer les effets du mensonge, involontaire le plus souvent, conscient parfois, qui brouille, qui parasite les stratégies de compréhension, les modes d’intégration et de  représentation de l’autre pour l’enfant et aussi pour l’adulte. Nous pouvons nous questionner sur les « coulisses » du projet de venir à l’eau, d’y amener son enfant, d’y inviter l’autre à un travail…

Ces quiproquos, ces ratages vécus, éprouvés peuvent devenir, si l’on n’y rend garde, autant d’attaques de la relation que l’enfant ne peut gérer d’aucune façon, sauf à se construire sur des trous, des absences, dans des dysharmonies. Sauf à le laisser s’installer dans le faux que serait pour lui de prendre prématurément la place vacante laissée par l’adulte, parent de lui-même !

Le jeu tonique harmonieux quant à lui ouvre sur une structuration de l’espace corporel et par extension, en complémentarité, de l’espace externe réel. Espace riche de l’eau qui confirme les dimensions essentielles, celles qui nous fondent.

Jeu entre Newton et Archimède où les petits se déplacent en diagonale…

Jeu de la découverte des équilibres entre horizontale et verticale impossibles sur terre, et rendez-vous ou retrouvailles avec une apesanteur ancienne, incomplètement maîtrisable !

Le jeu tonique harmonieux structure dans ses alternances un temps intime où l’enfant sort progressivement de l’éternité pour aborder le temps humain et sa limite.

Jeu d’alternance entre :

Appuis terriens / appuis aquatiques à construire

Dehors / dedans

Tension / détente

 Prendre / lâcher

Prendre de l’air / Lâcher l’air

Maîtriser / laisser faire

A toi / à moi

Seul / avec l’autre

Commencer / finir

Partir / revenir

Termes opposés. Termes complémentaires.

En boucle, en sphère autour desquels nous pouvons développer la palette des couleurs de nos expériences humaines, sensées, dans leur plus grande richesse créative.

A nous de chercher avec les autres. Il n’est pas de jeu solitaire !

 

Pour conclure, nous tenterons de dégager à propos de ces quelques points les repères qui feront, de notre point de vue,  que l’expérience de l’eau - lieu créatif de la relation, puisse advenir :

Le cadre qui définit sa limite et dit ses références à un autre (théorique - recherche…) qui contient, qui garantit, par rapport auquel l’autre peut faire son choix.

La permanence, soit une présence, une écoute, un partage affectif et une extériorité.

La reconnaissance de la richesse et des limites de chacun et le respect de l’autre dans sa différence (enfant, adulte en particulier) en incluant son refus potentiel. C’est à cette seule condition que l’on pourra garantir une non dépendance, un assujettissement, de ne pas se substituer.

La créativité à partir d’éléments repérables par l’autre et qu’il va à son rythme, à sa mesure, complexifier comme il lui conviendra. Passer du même au pareil, du 1 au 2, aller vers la différenciation.

La possibilité d’y revenir autant qu’il faudra pour intégrer et non zapper, de construire dans le temps de chacun – son temps – de le développer.

Le passage possible, pas obligé, par la parole sous toutes ses formes, qui reprenne, ressaisisse, représente, qui mette en perspective l’expérience personnelle dans ce qu’elle a de partageable, et qui l’organise.

Maryvonne ROUILLIER  juin 1994