Longtemps la mer

     (…) On ne cerne pas la mer, on ne la découpe pas en tranches à consommer. On l’accepte, on fait avec comme on dit ici.

     Une plage paresseuse au sable chaud et confortable invite à jouer avec les vaguelettes qui viennent y mourir en un feston d’écume. On avance en rêvassant,       confiant, trop confiant sans doute ; une vague traîtresse vient nous bousculer méchamment, nous rappeler la vigilance, la défiance même, rompant la magie du   moment. Ne pas rester sur cette déception quasi-sentimentale, la règle du jeu n’est pas de cet ordre. La règle du jeu, c’est la mer qui l’établit, et il n’y a pas de règle.

Ouvrir le journal local un matin d’hiver : pas de nouvelles de tel ou tel chalutier, des pêcheurs disparus en mer, péris, ajoutent rapidement les anciens interviewés, haussant les épaules à l’évocation des matériels de sécurité. Que peut un harnais contre la violence de la mer qui rugit dans la tempête, secoue les bateaux contre les rochers, dresse des murailles d’eau où viennent se fracasser les frêles coquilles.

La mer rabattra toujours l’orgueil humain. Seule l’humilité est admise ; c’est la mer, la nature qui décide. Peut-être est-ce aussi pour cela qu’elle est si attirante. Que de secrets elle doit cacher, donc à découvrir ; à quoi nous invite-t-elle ? à dépasser nos peurs, à vouloir l’inconnu, entrer dans cette matrice caressante, s’étonner de ses lagons turquoise, traverser son immensité infinie vers les rives et les ports de l’autre côté : une invitation au voyage à l’intérieur de soi, vers des multitudes de mondes.

Annick LC